Notes de visite

Les quelques notes que le Père Henri JOMIN, fondateur de l’Horathérapie, laissait à ceux qui venaient lui demander conseil sont retranscrites ci-après. Elles sont précédées de quelques notes biographiques.

Prêtre d’une stature humaine, intellectuelle et spirituelle hors norme, le Père Henri JOMIN .(1893 – 1982) avait été Supérieur des missions jésuites en Chine. Il était aussi directeur spirituel du Père Teillard.

Le Père Henri JOMIN a connu l’angoisse psychologique, dont il s’est guéri en trois jours grâce à la lecture d’un ouvrage de Roger VITTOZ.

Une maladie l’avait « privé » de sommeil. Il ne dormait plus que trois heures par nuit. Un temps que le Père mettait à profit pour lire chaque jour un ouvrage de Psychologie ou de Psychiatrie, notamment à l’intention de la rubrique « critique littéraire » de la revue Jésuite « Projet ».

Vivant une intimité spirituelle de tous les instants avec le Christ, et habité comme son Divin Maître par une grande compassion envers ceux qui souffraient, le Père JOMIN offrait aussi gratuitement de son temps à qui venait lui demander de l’aide.

Invité par le Professeur Henri BARUK à intervenir devant la Société Henri MOREAU de Tours, le Père JOMIN s’était vu décerné le tître de Psychiatre, à l’unanimité des 40 membres de cette Société, Professeurs agrégés en psychiatrie, au vue de ses travaux dans cette discipline.

Le leg inestimable du Père Henri JOMIN en psychologie et psychiatrie fait de lui un guide sûr, avec pour les croyants l’avantage supplémentaire de pouvoir le prier.

Jean-François VEZIN, chercheur en Psychologie à Paris III a conduit un ouvrage collaboratif sur l’Horathérapie du Père Henri JOMIN :  “Quand le présent devient présence”

https ://www.librairiedialogues.fr/livre/265426-quand-le-present-devient-presence-philippe-de-labriolle-jean-francois-et-liliane-editions-de-l-emmanuel

https://www.librairiedialogues.fr/livre/265426-quand-le-present-devient-presence-philippe-de-slabriolle-jean-francois-et-liliane–editions-de-l-emmanuel

« Notes de visite » :

LIBERTE – PAIX – JOIE

Du matin au soir – parfois même du soir au matin – mon esprit est encombré d’idées, d’images, de souvenirs, de regrets, de désirs, de craintes etc. qui s’imposent à moi. De là découlent tension, fatigue, insomnies, troubles de santé, obsessions, angoisse, phobies, etc. Parfois pour des périodes plus ou moins longues, sans cause ou pour une cause insignifiante, tristesse, découragement, dépression.

Ainsi, je ne suis pas maître de moi-même, je ne suis pas libre. Comment le devenir ? Le Seigneur l’a déclaré : « La vérité vous rendra libres » (Jn. 8,32). Je pourrai alors jouir de cette paix et de cette joie qu’Il est venu apporter au monde (Jn. 14,27; 15,11) Mais auparavant, quelques procédés très simples me permettront, dès le premier jour, de dominer quelque peu mon travail cérébral.

Sensations pures

Voir, entendre, toucher, respirer, marcher, etc. sans penser, ni à l’acte présent, ni à rien d’autre. Sans effort. Comme un bébé. Mais acte voulu, où je suis pleinement maître de moi-même. Actes très courts au début ( une ou deux secondes ), mais nombreux et fréquents, dans les actions de pure routine ( soins du corps et du ménage, déplacements, etc. ) Interrompre souvent le travail intellectuel par des respirations conscientes. De même, sentir sans penser les sentiments, émotions, désirs.

Concentration

Sur le signe de l’infini : Voir par l’imagination la main dessiner ce signe dans l’air. Mouvement régulier, rythmé. Cet exercice comme les suivants soumet l’imagination à la volonté, libère des obsessions.

Sur le un : Imaginer la main qui dessine dans l’air un grand un, en sentant le mouvement du bras, en voyant le geste, en prononçant « un » , en l’entendant. Le dessiner six fois de suite.

Sur les membres : Porter fortement l’attention sur la main droite en recherchant toutes les sensations qu’elle éprouve, puis la main gauche, pied droit, pied gauche … Organes intérieurs. Par là on fortifie les organes, calme les douleurs, réchauffe le corps.

Courants : C’est l’exercice précédent, mais en faisant porter l’attention successivement le long d’un membre, ou d’un organe.

Idées – forces : Incarnées dans des images ou des sentiments, les idées tendent à se réaliser. D’où leurs effets nuisibles (maladies fonctionnelles, névroses, etc. ) ou bénéfiques (guérisons …). Me pénétrer du sentiment de calme en répétant ce mot lentement. De même pour l’énergie, la détente. Sourire.

La vérité qui nous rend libre

Je vis dans la durée, un instant après l’autre. L’instant d’avant, je n’y peux plus rien. L’instant d’après, je n’en sais rien. Je n’ai à moi que l’instant présent. C’est mon unique trésor : c’est lui qui me permet de réparer le passé et de préparer l’avenir, et c’est lui qui me met en contact avec l’éternel. Bien vivre, c’est vivre toujours dans le présent.

Pour y aider : une formule très simple : Je veux ce que je fais. J’emploie le verbe vouloir dans son sens propre : la volonté est une tendance rationnelle qui tend vers le bien que la raison présente, non pas n’importe quelle tendance. De plus, il ne s’agit pas d’une volonté tendue, mais aimante : dans plusieurs langues, vouloir prend souvent le sens d’aimer.

Je me plonge donc dans le présent. Parfois ce présent consistera à prévoir l’avenir ou à penser au passé. Sinon, je ne m’occupe pas plus de l’avenir que du passé : Je veux ce qui est, seconde formule par laquelle j’accepte toutes les conditions de l’action et toutes ses conséquences, par laquelle je m’accepte moi-même comme je suis.

Mais souvent, l’action présente ne demandera aucune réflexion, action de pure routine. Alors sensation pure.

Croyant, je sais que rien n’arrive que par la volonté ou la permission d’un Dieu-Amour, qui ne veut ou ne permet rien que pour mon bien (Rom. 8/28). Je puis donc m’abandonner en pleine confiance à son amour en me plongeant dans le présent.

Sommeil

« Dormir », c’est se désintéresser (Bergson). On ne peut dormir si on s’inquiète de son sommeil, mais on dort si on ne pense à rien en se couchant. Donc me coucher, non pour dormir, mais pour se reposer. La fatigue qui suit une insomnie vient moins de l’insomnie que de l’énervement.

Me plonger dans le présent

Le présent résume en lui tout le passé et influe sur tout l’avenir. Je répare donc le passé et je prépare l’avenir, non pas en y pensant pour m’en inquiéter, mais en me plongeant dans le présent.

Indépendance

Mon corps subit toutes les influences de son milieu, mais plus encore celles de l’âme qui l’informe. Ma volonté libre peut dominer toutes les circonstances extérieures, ne serait-ce que par une acceptation totale, et doit se montrer indépendante de tout ce qui n’est pas Dieu, avec le secours de Dieu. Je ne dois même pas me laisser entraîner par les bons exemples, mais faire en pleine liberté ce qui me semble bon devant Dieu.

Reconnaissance

J’ai tout reçu de Dieu, mais par des hommes, causes secondes : naissance, croissance, nourriture, instruction, sacrements … Solidarité humaine, encore approfondie par l’Incarnation qui, en droit, par le corps mystique du Christ, étend à tous l’unité de la Trinité. Manifester ma reconnaissance envers Dieu en me donnant à ce prochain par qui Dieu se communique à moi.

Nous ne connaissons pas toutes nos forces

Nous n’employons d’ordinaire que le tiers (W. James) ou même le cinquième (Kluckhohn) ou 5 à 15% (F.S. Perls) de nos forces physiques, intellectuelles ou morales. Les forces de réserve se développent par l’usage et l’effort. Importance de l’intérêt que la volonté permet d’éveiller. Alexis Carrel montre qu’il y a tout profit à souffrir parfois de l’insomnie, de la fatigue, de la faim, de la soif, de la chaleur, du froid, du danger … Nous avons même des facultés que nous ignorons.

En cas d’épuisement

Qui suivra ces conseils sera rarement fatigué. Cependant, en cas de fatigue réelle, on s’étendra, l’esprit détendu, toute une journée, ou du moins une longue sieste, en ajoutant au besoin une demi-heure après le petit déjeuner et une demi-heure avant le déjeuner. S’aider au besoin d’un livre en cas de pensées fatigantes.

Egalité d’humeur

Violence et colère sont des faiblesse. Rien de plus fort que l’homme qui, dans les soucis et les souffrances, se montre toujours accueillant, prêt à écouter et à comprendre les autres; même ceux qui l’ont traité en ennemi. « Bienheureux les doux car ils posséderont la terre ».

Habitudes

Nous vivons d’habitudes. Elles permettent de tourner ses forces à de nouvelles acquisitions et de rendre agréables et faciles des actions d’abord pénibles. Mais danger de routine, d’esclavage. « Je veux ce que je fais » permet d’acquérir rapidement des habitudes. Parfois un seul acte énergique permet d’acquérir ou de corriger une habitude.

Décision

Prévoir toutes les circonstances de l’acte; sentir qu’il estv possible et même pas difficile; puis décider, c’est-à-dire affirmer comme certain l’acte à poser. décider vite, dès que le problème a été bien posé. Comme on décide une action bonne, ne pas hésiter à faire mieux si le charité ou les circonstances l’exigent.

Insuccès

Qui suivra ces conseils échouera plus rarement. Mais en cas d’insuccès, jamais de découragement : Je veux ce qui est. Echec total apparent de Jésus sur la croix. En réalité c’était son triomphe : toute l’histoire du monde est centrée sur le moment où Jésus meurt, moment inséparable de la Résurrection. De même, d’un insuccès que j’accepte pleinement, je fais un succès. D’ailleurs quand une porte se ferme devant nous, d’ordinaire une autre s’ouvre. Nous restons à pleurer devant la porte fermée sans remarquer celle qui vient de s’ouvrir.

Réceptivité avec autrui

M’efforcer de comprendre le point de vue d’autrui, en faisant abstraction du mien, pour ne pas déformer sa pensée. Ne jamais juger sévèrement d’après le rapport d’un tiers, ni même d’après un ou deux faits constatés par moi, deux actes ne constituant pas une habitude. Ne pas juger l’homme d’aujourd’hui d’après ce qu’il était hier; il a pu changer dans l’intervalle. Juger favorablement autrui, c’est l’aider à avoir les qualités que je lui attribue. je peux juger les actes, jamais les personnes, l’Homme-Dieu disant : « Je ne juge personne » (Jean 8/15).

Réceptivité avec Dieu

Prendre conscience de moi, par sensations pures : conscience toujours actuelle, mais habituellement recouverte par des pensées, des sentiments, etc. Puis affirmer que j’atteins ainsi le Christ dont je suis membre. Présence aussi réelle que dans l’Eucharistie, avec cette différence que, dans l’hostie, il n’y a plus que les accidents du pain, tandis que je ne cesse jamais d’être présent à moi-même. Cette forme de prière, très détendante, est la plus élevée qui soit. Au dessus, il n’y plus que les oraisons mystiques.

Parler très simplement à Dieu. Ce n’est pas pour Lui que je parle, puisqu’Il connaît mieux que moi mes pensées, mais pour moi. Il est rès bon de répéter une formule simple, comme la prière de Jésus : effet psychique d’idée force aussi bien que spirituel.

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La vérité qui nous rend libres

Une loi psychologique

Dans son livre « Les Idées-forces », le philosophe Fouillée montre comment les grands moments de l’histoire ont été causés par des idées. Il en est de même dans la vie des individus.

Mais toute idée n’est pas une force. Elle ne le devient qu’incarnée dans une image ou dans un sentiment. Disons donc plutôt qu’image et mouvement sont inséparables. De même que tout plan comporte nécessairement deux faces, image et mouvement sont les deux faces d’une même réalité. Ce qui est image dans la conscience est dans le cerveau modification de cellules.

Cela apparaît clairement dans la catalepsie, où la personne la plus faible peut rester une heure sans fatigue générale, le bras tendu à l’horizontale. La conscience étant précédemment vide, l’image du bras levé s’est formée et est restée seule dans la conscience, maintenant le bras dans la même position.

Autre exemple : le vertige. Personne n’hésitera à marcher sur une planche, large d’un mètre et placée à dix centimètres au-dessus du sol. Se risquerait-il sur la même planche à vingt mètres au-dessus du sol ? Le danger n’est pas plus grand, mais l’image de la chute possible se révèlerait plus forte que la volonté de ne pas tomber.

De même pour la publicité. Parfois le fabricant entend prouver que son produit est le meilleur de tous. Il ne se donne souvent pas cette peine : Du bo, Du bon, Dubonnet. Les chefs d’entreprise ont constaté que leur chiffre d’affaires varie comme leur budget de publicité. Pour certains produits de beauté, les frais de publicité représentent les trois-quarts et même les quatre cinquième du prix de revient. En 1962 on a dépensé 45 Fr. par Français, 131 Fr. par Allemand, 325 Fr. par Américain, soit une somme supérieure au revenu annuel par personne dans les pays en voie de développement.

Plus grave : la plupart des maladies s’expliquent par cette même loi. La complexité du corps humain est effarante, le nombre des cellelules s’y comptant par milliers de milliards. Or, plus une machine est complexe, plus facilement elle aura des ratés. Composée de dix pièces dont chacune a une espérance de vie de dix ans, elle n’a plus qu’une chance sur mille d’atteindre dix ans sans accident. Qu’en sera-t-il d’une machine dont les pièces se comptent par billions ? Il y aura donc dans le corps des ratés qui se manifesteront par des douleurs. Si j’éprouve un malaise dans la région du foie et que je croie le foie malade, je m’expose à une maladie, non pas que le foie soit lui-même atteint, mais il fonctionnera comme un foie malade.

Ce sera une maladie bien réelle, nullement imaginaire, une maladie fonctionnelle, non organique. Ces maladies fonctionnelles d’origine psychique sont-elles nombreuses ? d’après le professeur de médecine Paul Milliez, dans la préface du livre du Dc. Armand Vincent : « Médecine de groupe au service de l’homme » Paris, 1964, « 70% des patients consultent pour des troubles fonctionnels ». Après enquête auprès de ses collègues, médecins praticiens comme lui, le docteur Pierre Sollié, dans « Médecine et homme total », Paris 1961, affirme que, de 75 à 90 % des malades de consultations souffrent de maladies fonctionnelles. pourquoi d’ailleurs insister à l’âge de la médecine psychosomatique ?

La même loi image-mouvement inséparables n’explique pas seulement des maladies, mais aussi des guérisons, et même de maladies organiques. Nous pouvons apporter des cas personnellement connus d’hémiplégie par lésion cérébrale, de cancers et de tuberculose pulmonaire, incurables médicalement et guéris. Dans son rapport de 1959, le Docteur Pendergest, président des cancérologues américains, déclare que le cancer se développe quand le moral est mauvais, avec un bon moral, le cancer n’évolue pas, avec un moral excellent il n’est pas rare que le cancer régresse et même guérisse. D’après le New York Times, récemment plus de 200 cas de cancers incurables guéris ont été constatés en quelques mois aux Etats-Unis.

On comprend dès lors l’importance qu’il y a à se garder de toute idée négative qui, par les images correspondantes, amène le mal redouté, mais aussi l’importance des sensations pures qui gardent de toute divagation quand l’action de pure routine n’occupe pas l’esprit.

L’auto-suggestion n’est qu’une application de cette loi psychologique. En cas de tristesse sans cause, on s’efforcera donc de sourire : agacé, énervé, on répètera le mot : calme; tendu, contracté, le mot : détente (efficace lors des crampes), et le mot énergie permettra de secouer une faiblesse inexplicable.

Mais surtout, on vivra suivant la vérité. C’est la vérité qui nous délivrera, nous dit le Sauveur. De fait, entre autres avantages, vivant suivant le Vérité, nous tournerons à notre avantage cette loi image-mouvement inséparables, sans même y penser.

La Vérité qui nous rend libres

deux principes résument la vie parfaite comme la vie heureuse : Je veux tout ce qui est. Je veux ce que je fais.

Deux formules, trois mots. Mots des plus fréquents. Rien de plus universel que l’être. Le verbe FAIRE, admet toutes sortes de compléments. Le verbe VOULOIR est lui aussi très fréquent. Trop même, puisqu’on l’applique souvent à n’importe quelle tendance. Nous ne l’emploierons qu’au sens propre de cette tendance rationnelle qui se tourne vers le vrai et le bien. Nous l’emploierons aussi au sens des Sémites et des Espagnols qui remplacent souvent le mot AIMER, par le mot VOULOIR. Il ne s’agit donc pas d’une volonté tendue, mais d’un AMOUR. Pouvant aimer ce qui n’est moralement pas bien, je ne puis vouloir tout ce que j’aime, alors que ne voulant que le bien moral, je puis toujours aimer ce que je veux. La formule n’est donc pas : j’aime, mais je veux ce que je fais, d’une volonté aimante.

Les deux formules sont à l’indicatif présent. Mais le présent ne nous est connu qu’en retard, retard qui va du milliardième de seconde, pour les objets tout proches, à des milliards d’années pour certains objets célestes. Tout présent connu est donc déjà du passé, donc inchangeable, même à la Toute-Puissance divine; c’est donc une vérité éternelle. Il sera éternellement vrai que je me trouve en cet instant en ce local, et Dieu n’y peut plus rien.

Or, nous passons notre vie à nous révolter contre des vérités éternelles, mécontents des choses, des autres et de nous-mêmes. C’est là un gaspillage de forces que les stoïciens évitaient de leur mieux. C’est bien plus facile pour un chrétien qu’éclaire la vérité, cette vérité qui le rend libre.

Eternellement , il y avait Dieu, Etre infini, Perfection infinie, Bonheur infini. Eternellement, Dieu donne tout son Etre, toutes ses perfections, tout son bonheur à son Verbe, à son Fils, ne se réservant que le nom de Père. Le Fils, qui reçoit tout du Père, rend tout au Père, ne se réservant que le nom de Fils. Et cet Amour, ce Don réciproque, c’est l’Esprit-Saint. Ainsi donc, en Dieu, nous ne trouvons qu’Amour, Don de soi. En Dieu, Etre = Amour.

Il aurait pu n’y avoir qu’un seul Dieu jouissant éternellement du bonheur dans l’amour. Mais parce que Dieu est amour, nous sommes. Comment Dieu nous a-t-il faits ? Nécessairement à son exemple, puisqu’il est l’Etre, l’Unique. Amour, Dieu nous fait donc pour aimer, pour nous donner, et nous serons dans la mesure où nous aimerons, et nous donnerons. Mais qu’aimerons-nous ? Ce qui est aimable, Dieu lui-même et les oeuvres de Dieu : amour de Dieu, amour des hommes.

Mais l’amour ne s’impose pas, il se propose. Aimant intensément une personne, je ne pourrai qu’essayer d’attirer son attention et peut-être son affection par des dons et des services.

Ainsi fait Dieu. Il nous donne tout ce que nous avons, tout ce que nous sommes, et il se donne lui-même. Et le Verbe se fait chair et va jusqu’à mourir pour nous. Dans l’heure qui précède son agonie, le Sauveur déclare : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime », marquant par là que, s’il mourait, c’était moins pour nous sauver – un acte de sa volonté divine y suffisait – que pour nous proposer son amour, pour attirer notre amour.

Reste que l’amour ne s’imposant pas, je puis refuser cet amour que Dieu me demande. Je puis vivre pour moi, attirer à moi les choses. Qu’arrive-t-il alors ? Fait pour aimer, pour me donner, je vis en moi pour moi. Je vais contre ma nature. Mettant dans ma vie l’égoïsme au lieu de l’amour, je mets dans ma vie un principe de souffrance. Si, pour enfoncer un clou, j’emploie ma montre comme marteau, le clou s’enfoncera, mais la montre ? Elle souffrirait terriblement si elles en était capable. Moi, je souffre.

La souffrance du bébé ne s’expliquera pas par son égoïsme à lui, mais par celui d’un ascendant alcoolique, de sa nourrice imprudente, ou de quelqu’autre membre de l’entourage. Mais n’est-ce pas injuste qu’un enfant innocent souffre par la faute d’un adulte coupable ? Contemplons de nouveau la Trinité.

Il aurait pu, disions-nous, n’y avoir qu’un Dieu en trois Personnes. En réalité, tel est le plan de Dieu : qu’il n’y ait toujours qu’un Dieu en trois Personnes, Père, Fils et Saint-Esprit, mais dans le Fils, il y a vous, il y a moi, il y a tous les hommes.

C’est Jésus qui déclare : « Je suis la vigne, vous êtes les branches ». Les branches constituent aussi bien la vigne que le tronc. Sans doute, une branche brisée, séparée de la vigne, n’est plus rien. Mais dans la vigne, c’est la vigne. C’est même si bien la vigne que, jamais les raisins ne poussent que sur les branches, non sur le tronc. La vigne étant pour les raisins, nous sommes nécessaires à la vigne.

Saint-Paul recourt à une comparaison différente. Le Christ est la tête d’un corps dont nous sommes les membres. Un corps qui n’aurait qu’une tête serait bien imparfait. Membres du Christ, nous sommes nécessaires au Christ.

Ainsi, membres du Verbe incarné, demain nous jouirons du bonheur éternel et infini du Verbe. C’est là une vérité surnaturelle que jamais philosophe n’aurait pu deviner. Il a fallu que le Verbe Lui-même le révélât.

Vérité surnaturelle. Mais aussi vérité surnaturelle. Toute vérité surnaturelle a un fondement naturel. Le fondement naturel de la vigne et du corps du Christ, c’est la solidarité humaine.

Nous dépendons essentiellement les uns des autres et ne pouvons vivre seuls. Existence, aliments, vêtements, logement, nous tenons tout des autres. A chaque instant nous bénéficions de la solidarité. Parfois nous en souffrons. Traversant la rue entre les clous, protégé par un feu rouge, je suis renversé par un chauffeur imprudent. La faute est en lui, c’est moi qui suis blessé. Solidarité.

Il y a donc beaucoup de souffrance sur terre. Amour, comment Dieu peut-il la vouloir pour ceux qu’il aime. Incarné, le Fils guérissait les malades, rendait vivant à une veuve l’enfant qu’elle pleurait, multipliait les pains pour éviter à la foule une faim de quelques heures, changeait l’eau en vin pour épargner à de jeunes mariés la honte de refuser un vin qu’ils n’ont plus. Non, Dieu ne veut pas la souffrance : mais l’amour ne s’imposant pas, Dieu ne peut l’empêcher. Il la permet donc, mais en Dieu, qui la fait tourner à notre avantage (Romains 8, 28).

Ainsi donc, tout dans ce présent inchangeable n’est voulu ou permis que pour mon bien. En toute sécurité, j’affirme donc : Je veux tout ce qui est. Tout, même ce qui semble un mal.

Les souffrances physiques pleinement acceptées seront adoucies, parfois même, elles disparaîtront. Nous les voulons, non pour qu’elles disparaissent, mais dans la conviction qu’elles ne sont permises que pour notre bien par un Dieu qui nous aime plus que nous ne nous aimons nous-mêmes. Les douleurs morales sont plus facilement encore calmées par cette acceptation.

Je veux aussi mes défauts, comme ceux des autres. N’appartiennent-ils pas à ce passé inchangeable que Dieu n’a permis que pour mon bien. Un problème devient insoluble si l’on en écarte l’une des données. Mes défauts sont une des données de ma vie présente. C’est de là qu’il me faut partir.

Souffrances et défauts ont des causes. Ce sont généralement des erreurs et des fautes commises par d’autres ou par moi-même. je les veux, même les fautes. L’Eglise ne qualifie-t-elle pas de bienheureuse la plus grave des fautes humaines ?

Voulant pleinement le présent, j’en veux les conséquences. Mais l’avenir dépend du présent, comme le présent dépend du passé. D’ailleurs cet avenir que j’ignore, c’est l’amour de Dieu qui me le prépare n’ayant en vue que mon bien. Je veux tout l’avenir.. Ainsi donc, voulant tout ce qui est, je veux toute la durée, cette succession de millénaires dont je ne connais guère que l’amour de son Ordinateur.

Dès lors, quelle détente et quelle libération! détente : plus de révolte, plus de crainte, plus de préoccupation, mais une acceptation confiante qui s’étend à toutes les choses. Libération : rien ne s’impose plus à moi, mais tout sans exception, je le veux et l’aime comme je veux et j’aime la volonté de mon Père.

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Cependant, de cette immense extension du premier principe, il me faut prélever une toute petite durée, celle de l’action que j’accomplis en ce moment car c’est pour elle que s’applique le second principe : Je veux tout ce que je fais.

Principe qui paraît beaucoup moins important que le premier, puisqu’il ne concerne qu’une durée de quelques minutes ou de quelques heures au lieu de la suite indéfinie des siècles. Ce n’est là qu’une apparence, comme nous le verrons bientôt.

Pour le moment contentons-nous d’une remarque. Toute la journée, du lever au coucher, ce principe s’applique à tous les instants. Du lever au coucher car au lit on se repose. Mais, dès le lever l’activité commence, et il me faut vouloir et aimer chacune de mes actions. S’il s’agit d’un travail qui occupe l’esprit, je m’y appliquerai de toute mon âme. Or, combien de fois je me mets à l’oeuvre superficiellement, distraitement, du bout des doigts. D’où médiocrité du résultat et fatigue : la feuille de papier que je pourrais tenir indéfiniment à la main sera vite déchirée si elle est « distraite », tirée de plusieurs côtés. unifié dans l’action, j’agis au mieux et sans fatigue.

De même pour les conversations; si l’on nous parle soyons présents d’esprit et non seulement de corps. Quel qu’humble que soit notre interlocuteur, ne lui faisons jamais cette injure, c’est un membre du Christ, ou du moins quelqu’un pour qui le Christ est mort.

Outre des actions et conversations importantes, la journée, la journée comporte une foule d’activités de pure routine : soins du corps, soins du ménage, travaux manuels, exercices sportifs, déplacements. Là encore, je veux ce que je fais. Non pas qu’il me faille réfléchir à cette action de routine : ce serait le moyen de la faire mal et de me fatiguer. Si je n’ai pas à réfléchir à quelque autre chose en l’accomplissant, je me contenterai de la sentir en « sensation pure » : instants de détente où tout en conservant la maîtrise de moi, je récupère des forces pour les heures plus laborieuses.

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Je veux tout ce qui est. je veux tout ce que je fais. Sensations pures. Tels sont les trois points essentiels de cette méthode qui assure, avec la liberté, la paix et la joie.

Mais l’être étant d’autant plus parfait qu’il est plus un, une méthode qui comporte trois éléments paraît bien imparfaite. En réalité, cette méthode se résume en une seule proposition : Je veux ce que je fais.

Cela suffit, car pour me plonger dans le présent, dans cette action que je suis en train d’accomplir, il est nécessaire que j’en accepte toutes les conditions, aussi bien celles qui me concernent que celles de l’entourage et du milieu, tout ce qui est. Et quand l’action est de pure routine, la simple conscience directe (sensations pures) s’impose pour la bien faire. Je veux tout ce que je fais suppose donc : Je veux tout ce qui est, et inclut les sensations pures.

Fais ce que tu fais ! Formule que nous a léguée l’antiquité. Sans doute, mais comprise avec toute la plénitude d’amour qu’est venu nous enseigner le Verbe incarné, ce Dieu tout aimable qui m’aime plus que je ne m’aime moi-même. De toute mon âme, je veux sa volonté, je veux tout ce que je fais.

Me plonger dans le présent

Si le présent métaphysique – frontière mouvante entre l’avenir et le passé – n’a aucune épaisseur, le présent psychologique s’étend sur toute la durée de l’action que j’accomplis. Je puis et je dois m’y plonger.

Tout mon passé intervient dans la composition de ce texte. Que j’aie fait d’autres études ou d’autres lectures, que j’aie eu d’autres professeurs ou d’autres parents ou d’autres compagnons, j’écrirais autrement ou autre chose, ou je n’écrirais pas, peut-être même ne serais-je pas ou ne serais-je plus. Et mon passé ne commence pas à ma naissance ni à celle de mes parents : toute la lignée de mes ancêtres depuis le premier homme intervient à mon insu. et pas seulement mes ancêtres, mais tous les ancêtres de chacun de mes professeurs, tous les ancêtres des auteurs de chacun des livres que j’ai lus, tous les ancêtres de chacun de mes compagnons, tous les ancêtres de chacune des personnes qui ont agi sur chacun de ces ancêtres … Mon présent m’apparaît comme la pointe d’un cône qui s’étend à l’infini dans le passé, enserrant une masse d’hommes toujours plus nombreuse. Et tous ces hommes que j’ignore influent sur mon action présente.

Mais le présent est aussi la pointe d’un autre cône qui s’allonge dans l’avenir, englobant une foule croissante d’hommes. Le monde sera autre dans trois siècle parce que j’écris ces lignes. Le nez de Cléopâtre… Sans doute, je ne suis pas Cléopâtre, pas plus qu’un caillou n’est une montagne. Mais un caillou tombant sur un névé forme une boule de neige qui grossit, devient une avalanche qui emporte les villages, tout comme l’écroulement d’une montagne. Il y faut seulement plus de temps. J’agis sur d’autres, qui agiront sur d’autres… Quelle foule en trois siècles !

Il y faut parfois bien moins de temps. Tel personnage important est blessé dans un accident de circulation parce qu’un chauffeur de taxi a bu un verre de trop. Peut-être , sans le savoir, ai-je déjà transformé l’histoire. Aucun manuel, d’histoire n’en parlera. N’y trouvent place que de très grands personnages dont l’action est évidente. Au ciel, nous connaîtrons la vraie histoire, celle que chacun de nous a écrite à son insu.

Je veux ce que je fais. Cette formule qui semble ne concerner qu’une durée très brève a donc une extension qui ne le cède en rien à l’autre. On y retrouve tout le passé comme tout l’avenir. Avec cette différence que l’une accepte les choses que l’autre transforme, puisque c’est par mon action présente et par elle seulement que je répare le passé et prépare l’avenir. Mais pour transformer les choses il me faut commencer par las accepter. Comme d’ailleurs je ne puis accepter toutes choses si je ne suis décidé à les transformer : comment accepter une faute ou un défaut si je ne suis pas décidé à la réparer ou à la corriger ? Or c’est l’action présente qui corrige et répare.

Je veux tout ce qui est. Je veux tout ce que je fais. Deux principes inséparables. Ce sont les deux jambes qui nous permettent d’avancer, ou mieux les deux ailes par lesquelles nous nous élèverons dans les hauteurs.

Indépendance

Mon corps est soumis à toutes les lois physiques. Soumis à des lois, je ne suis pas indépendant. mais, voulant tout ce qui est, ces lois, je les veux.Elles sont comme je veux qu’elles soient. Ce sont mes lois. Je suis indépendant, puisque je les domine.

C’est surtout avec les hommes qu’apparaît l’indépendance. Aucun homme ne peut me commander. Dieu seul est au-dessus de moi. Sans doute, Dieu intervient dans ma vie par toutes sortes d’hommes. Mais si parle d’autorités religieuse, ecclésiastique, civile, administrative, familiale, il n’ a en réalité qu’une autorité, celle de Dieu, qui m’atteint par des hommes, ses mandataires. Que je m’arrête devant un feu rouge, c’est devant l’autorité de Dieu que je m’arrête. L’homme qui commande peut ne pas croire en Dieu, c’est à l’autorité de Dieu qu’il nie que j’obéis, et je ne l’écoute pas s’il s’oppose à la loi de Dieu.

Je n’obéis donc qu’à Dieu. Mais à Dieu même je n’ai pas à obéir. Dans une famille où régnerait l’amour, le père n’aurait jamais à commander. Chacun s’empresserait de devancer ses moindres désirs. De même, Dieu n’a pas à me commander : je veux, j’aime ce que je fais, de tout mon être. Sans doute, je ne veux que la volonté de Dieu. C’est que je ne suis pas assez insensé pour vouloir autre chose. Que sais-je de moi-même et du monde ? Je ne vois que l’extérieur de mon corps et ignore l’état de mes organes intérieurs. Je sais ce que je fais en ce moment et pourquoi. Mais dans cette action présente, que d’inconnues ! que de pressions du passé dont je n’ai pas conscience. Mon passé est un océan d’oubli d’où pointent quelques rares îlots de souvenirs, teintés d’incertitudes et de doutes. L’avenir est pour moi nuit noire. J’ai une âme spirituelle et immortelle, mais il me le faut prouver par des arguments dont certains discutent la valeur. Je ne connais les autres que par analogie avec moi-même qui me connais si mal. Ignorant tout, comment prétendrais-je diriger sagement ma vie ? Seigneur, je veux votre volonté ! Vous êtes la Sagesse, vous êtes l’Amour, vous inclinez toutes chose à mon avantage, ne serait-ce pas folie d’espérer choix meilleur ? Oui, je veux votre volonté. Votre volonté, j’en fais ma volonté, si bien que, voulant ce que je fais, je fais ce que je veux. Concevrais-je indépendance plus totale ? Je n’ai pas à obéir, mais à aimer.

D’ailleurs, ayant fait de moi un membre de son Fils, c’est en Lui seul que Dieu me voit. Inclus dans la Trinité, aimant Dieu, je m’aime moi-même. Et ma volonté est comprise en la volonté divine.

N’obéissant à personne, je n’imite non plus personne. S’il n’y a pas deux feuilles d’un même arbre qui se ressemblent, comment Dieu aurait-il le même dessein sur deux de ses enfants ? Ce saint peut agir comme il veut, je ne l’imiterai pas. Si ce qu’il fait est bon pour moi, je le ferai, non parce qu’il le fait, mais en me référant à Dieu. Je ne l’ai donc pas imité. Je lui suis cependant profondément reconnaissant, grâce à lui, j’ai fait ce qui m’est bon et à quoi je ne pensais pas.

Je n’agirai pas non plus comme tout le monde. Je ne suis pas tout le monde, mais moi-même. Que des moutons se jettent à l’eau avec le troupeau si bon leur semble, je préfère l’indépendance dans l’amour.